Des taxis volants pour 2024 ?

Patrick Cappelli journaliste 2021 La tribune p.109-113

D'ici cinq ans, le ciel de nos villes pourrait être sillonné par des engins silencieux, non polluants, capables de décoller et d'atterrir n'importe où. Ces taxis volants hybrides d'hélicoptères et de drones géants vont ajouter une couche aérienne à la panoplie des véhicules de la mobilité durable.

L'Asie est le continent le plus demandeur des services d'aérotaxis pour tenter de décongestionner les artères des grandes métropoles. Avec VoloCity, la société allemande Volocopter et Japan Airlines entendent désembouteiller Tokyo

MOBILITE

Paris, juin 2025. Jérôme, cadre trentenaire, doit absolument rejoindre Barcelone pour signer un contrat d’embauche. Problème : son avion part de l’aéroport Charles de Gaulle dans moins d’une heure et l’autoroute Al est totalement congestionnée. Le Grand Paris Express, récemment inauguré, est lui victime d’une avarie sur la ligne. Une seulLa tribune Image 001e solution pour Jérôme : commander un taxi volant automatisé, un nouveau service disponible depuis peu. Quelques secondes de tapotage sur son smartphone, cinq minutes d’attente et le drone électrique sans pilote atterrit sur le vertiport de la place de la République où l’attend son client, un peu nerveux avant d’entrer dans la nacelle de cet engin qui lui semble bien petit et léger. Mais après un quart d’heure de vol silencieux dans un ciel serein, c’est un Jérôme souriant qui prend place dans la file d’embarquement de son vol pour la cité catalane. Certes, le prix de la course jusqu’à l’aéroport CDG- 200 euros n’est pas donné, mais la dépense en valait la chandelle. Science-fiction ? Pour l’instant. Ce genre de scène a de grandes chances de devenir réalité dans un avenir proche. Une flotte de ces drones taxis pourrait même être opérationnelle à Paris dès 2024 pour transporter les athlètes d’un site à l’autre durant les Jeux olympiques. Ce serait un coup d’éclat pour la mairie de Paris qui revendique le leadership sur les mobilités durables. Les analystes de la banque d’affaires Morgan Stanley pensent que monter dans un taxi volant, piloté ou automatique, à New York en 2040 sera aussi banal que héler un yellow cab aujourd’hui. Les projets d’aéronefs électriques dits eVTOL (acronyme anglais de Vertical Take-off and Landing pour « décollage et atterrissage vertical » en français) se multiplient dans le monde entier. Dans son étude « Autonomie, une révolution en marche » de 2018, le cabinet Oliver Wyman recensait pas moins de 170 projets en Europe, Amérique du Nord et Asie. Deux ans plus tard, il y en aurait 250. Tous ces prototypes n’aboutiront pas car les obstacles restent nombreux (administratifs, sécuritaires, technologiques, financiers). Mais cette demande pour des moyens de transport silencieux et non polluants est inéluctable afin d’aider à décongestionner les rues des métropoles et faire baisser leur empreinte carbone. Les services de sécurité civile pourront aussi utiliser ces engins volants légers et maniables pour le transport rapide de malades, de victimes d’accidents ou les sauvetages en cas de catastrophe naturelle. Sans oublier l’aspect business pour ce marché évalué par le cabinet Oliver Wyman à 35 milliards de dollars d’ici 2035. La société d’études indienne Valuates Report avance, elle, le chiffre de 87 milliards dès 2026. C’est pourquoi les grands groupes industriels de l’aérien et de l’automobile comme Airbus, Boeing, le fabricant de moteurs d’avion Rolls Royce, Bell, Hyundai, Toyota s’intéressent de près à cette technologie.

FRANKY ZAPATA SUR LA PISTE D’ENVOL

Ces industriels se rapprochent des nombreuses start-up qui se positionnent sur ce segment de la mobilité où tout est à faire, comme les allemandes Volocopter et Lilium, les américaines Joby Aviation, Aurora Flight Sciences (rachetée par Boeing en2017), Wisk (partenaire de la NASA), les anglaises Vertical Aerospace et Samad Aerospace, l’australienne AMSL, la chinoise EHang, etc. Sans oublier notre inventeur national Franky Zapata qui a survolé à 160 km/h la Manche en août 2019 sur son Flyboard. L’entrepreneur marseillais a annoncé vouloir mettre au point la Jet Racer, une voiture volante capable de décoller à la verticale propulsée par les mêmes turboréacteurs que le Flyboard dont le châssis est déjà fabriqué. Destinée au marché du loisir, la Jet Racer ne sera pas un taxi volant, mais Franky Zapata a deux projets de ce type dans les tuyaux, un pour le transport urbain et l’autre pour les trajets de ville à ville. Il espère lever10 millions d’euros pour mettre au point ces appareils. Une somme très raisonnable comparée aux levées de fonds déjà effectuées par ses concurrents. Volocopter a déjà engrangé 122 millions d’euros, Lilium 280 millions (dont 204 en avril dernier apportés par le géant chinois Tencent), Joby Aviationa levé près de 735 millions d’euros depuis sa création en 2009, dont 400 auprès de Toyota AI Ventures, la société d’investissement du groupe automobile japonais. Et 330 récemment auprès d’Uber qui lui a revendu sa division Uber Elevate, ce qui valorise la start-up à plus de 2 milliards d’euros. Depuis la parution de l’étude d’Oliver Wyman, « il n’y a pas eu de disruption technologique majeure concernant la propulsion ou les batteries » selonGuillaume Thibault, partner et spécialiste de lamobilité autonome. En revanche, les choses avancentvite sur le volet certification, indispensable pourque ces engins futuristes prennent lLatribune image 2eur envoldans les ciels urbains. Selon Guillaume Thibault, la start-up allemande Volocopter, qui a déjà effectuédes tests en Allemagne, à Dubaï, Helsinki, Las Vegaset Singapour, « a pris une avance indéniable dansle processus de certification et l’a consolidé. Parailleurs, la structure du marché évolue.

Les acteursse repositionnent, comme Über qui a vendu safiliale Über Elevate à Joby Aviation, la start-up avec laquelle la compagnie de VTC travaillait sur ce projet de taxis volants ». La société californienne aurait perdu pas moins de trois milliards de dollars au deuxième semestre 2020 et a dû abandonner ses rêves de taxi autonome, sur la route ou dans les airs. La Covid-19 fragilise également les constructeurs aéronautiques qui pourraient serrer la vis aux projets périphériques tels que les eVTOL. C’est ce qu’a fait Boeing en se séparant de sa filiale Boeing Next qui chapeautait son projet de taxi volant.

PREMIERS ESSAIS DÈS JUIN 2021 DANS LE VAL D’OISE

L’épidémie de Covid-19 n’empêche pas les tests qui se déroulent un peu partout dans le monde, particulièrement en Asie, un continent qui concentre le plus grand nombre d’agglomérations de plus de 20 millions d’habitants. C’est la région la plus demandeuse de ces services d’aérotaxis pour tenter de décongestionner les artères de Tokyo (38 millions d’habitants) ou Jakarta (30 millions), et d’abaisser le niveau de pollution atmosphérique qui asphyxie New Delhi (27 millions), Shanghai (24 millions) et Pékin (21 millions). Mais les villes européennes ne déméritent pas. Et c’est l’Europe qui serait même la plus en pointe sur le volet réglementaire d’après Guillaume Thibault : « L'AESA (l’Agence Européenne de la Sécurité Aérienne), a pris une certaine avance dans la réflexion sur l’agrément de ces véhicules, en tout cas par rapport ù l’administration américaine. » En France aussi, la volonté politique est là, comme le montre l’annonce dès juin 2021 des essais du VoloCity de Volocopter sur l’aérodrome de Pontoise Cormeilles-en-Vexin, dans le Val-d’Oise. La région Île-de-France, le groupe ADP (Aéroports de Paris) et la RATP viennent de s’associer afin de développer une filière de la mobilité aérienne urbaine autour du véhicule à décollage vertical. «Le site de Cormeilles-en-Vexin est idéal pour la première phase de test. Il dispose déjà de pistes, de services d’aviation civile, de zones prioritaires. C’est la zone rêvée pour tester tous les usages de cette nouvelle mobilité aérienne » a déclaré Edward Arkwright, le directeur général exécutif du groupe ADP. Pour la présidente de la région Île-de-France Valérie Pécresse « la structuration d’une filière mobilité aérienne autour de l’aérodrome de Pontoise Cormeilles-en-Vexin s’inscrit à la fois dans la dynamique du plan de relance régional, des conclusions de la COP et dans celle des Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Cet évènement constitue une opportunité exceptionnelle pour mobiliser la filière aéronautique, faire rayonner l’Ile-de-France en la positionnant comme une région de référence sur le marché mondial de la mobilité aérienne urbaine ». Catherine Guillouard, pdg du groupe RATP, manifeste, elle aussi, son intérêt pour cette solution alternative à ses métros et RER : « Pour le groupe RATP, cette nouvelle mobilité est profondément complémentaire de nos modes de transport historiques.»

Une flotte d’aérotaxis pourrait être opérationnelle à Paris dès 2024 pour transporter les athlètes d’un site à l’autre durant les Jeux olympiques.
RÉSOUDRE L’ÉQUATION DU HACKING

Bien que Volocopter soit la plus avancée, à la fois sur le plan de la technologie et de l’agrément des autorités aériennes - la start-up allemande espère faire certifier son appareil d’ici deux ans -, la région Île-de-France a lancé un appel à manifestation d’intérêt international pour toutes les entreprises voulant participer à ce projet. Constructeurs, concepteurs de « vertiports », fournisseurs de maintenance, de plateformes digitales, etc. sont appelés à déposer un dossier. L’arrivée de flottes de véhicules électriques aériens est un enjeu environnemental crucial, tant du point de vue de la pollution atmosphérique (aucune émission de gaz à effet de serre) que de la pollution sonore (le VoloCity n’émet que 67 décibels et seulement à l’atterrissage, soit le bruit d’une tondeuse à gazon). En matière de taxis volants, il faut distinguer deux modes opératoires : le vol autonome et le vol piloté. Dans ce dernier cas, les règles sont les mêmes que pour un hélicoptère : pas de survol de la capitale à cause du bruit (87 dB) et des normes de sécurité drastiques. Un crash d’hélicoptère dans une zone densément peuplée comme Paris et sa banlieue serait un véritable désastre. Pour les vols autonomes, la réglementation est en cours de rédaction, sachant que la sécurité des drones automatisés est bien supérieure à celle des hélicoptères, dont 80 % des accidents sont dus à une erreur humaine. Le principal obstacle au déploiement de ces engins volants est avant tout l'acceptation par le public de cette nouvelle technologie d’un point de vue sécuritaire et financier. Les Français sont-ils prêts à monter dans un drone volant automatisé ? À quel prix ? D’après l'Étude de la sensibilité des citoyens aux usages civils des drones réalisée au second semestre 2020 par Carvea Consulting et Opinea, ils seraient déjà 43 % prêts à embarquer dans un drone-taxi autonome sur un trajet de courte distance, les hommes (51 %), les CSP+ et les moins de 35 ans (54 %) étant les plus nombreux. Parmi ces futurs passagers, un sur deux est volontaire pour effectuer une course entre des stations fixes ou un trajet librement prédéfini sur un smartphone pour se rendre en centre-ville ou à l’aéroport. Mais il faudra d’abord résoudre l’équation sensible de la sécurité informatique. En effet, comme tout véhicule automatisé piloté par une intelligence artificielle, les drones géants seront équipés de logiciels, et constitueront ainsi une cible potentielle pour tous les hackers.

UNE SOLUTION DE NICHE

En 2017, l’un de ces cyber pirates a trouvé une faille pour s’introduire dans le logiciel Autopilot d’une Tesla. Heureusement pour la firme d’Elon Musk, il s’agissait d’un hacker « éthique » qui a alerté le constructeur californien. Rebelote en février dernier, des chercheurs de la société américaine d’antivirus McAfee ont réussi à tromper le système Mobileye d’une Tesla pour qu’elle accélère jusqu’à136 km/h alors que la limitation de vitesse était de 56 km/h. Les petits drones actuels sont eux aussi susceptibles d’être hackés assez facilement selon Kaspersky, un autre éditeur d’antivirus. Il n’y a aucune raison que ceux qui transporteront des personnes soient à l’abri d’un acte malveillant. Pour Christian Espinosa, de la société américaine de cybersécurité Alpine Security, « les attaques les plus sérieuses concerneront les communications sans fil. Les taxis volants vont devoi rcommuniquer beaucoup d’informations via ces réseaux comme la position, la vitesse, la direction, l’altitude, etc. Or, les moyens de communication sans fil existants présentent de nombreuses vulnérabilités au niveau de l'intégrité des messages et de leur authentification ». Des failles qui devront être comblées sous peine de refroidir l’enthousiasme des candidats à une course Paris-Charles de Gaulle par la voie des airs. Quant au prix de ce déplacement, les estimations oscillent entre un montant élevé de 300 euros et un coût beaucoup plus abordable de 50 euros pour un vol de 30 minutes maximum, soit l’équivalent d’une course en taxi automobile. Mais même avec cette hypothèse d’une course bon marché, les taxis volants ne deviendront pas pour autant une alternative à la voiture ni aux transports en commun : « Cela restera une solution de niche puisque ces véhicules n’embarqueront que quatre passagers maximum » rappelle Guillaume Thibault. Il faudra attendre encore un peu pour se la jouer Bruce Willis dans Le Cinquième Élément.

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